Héritage et avenir des musiques électroniques dans la région MENA

Héritage et avenir des musiques électroniques dans la région MENA

Le premier talk FEMENA Maroc a tourné autour du thème : Héritage et avenir des musiques électroniques dans la région.

Une conversation riche en rebondissements, autour de la position des artistes femmes et racisées, au Maroc et en Europe, la place de l’héritage musical dans la création et le potentiel des périodes à venir, visions du futur de la scène marocaine, maghrébine et africaine.

Le quatuor de ce premier talk était composé de quatre artistes aux backgrounds variés, dont les créations et collaborations sont en mouvement entre l’Europe (France et Allemagne) et le Maroc.

Femmes du Sud/racisées dans l’industrie musicale.

Le premier angle attaqué était celui de la présence féminine dans l’industrie musicale. Malgré les décalages entre des contextes différents comme le Maroc et la France, l’invisibilité des femmes restent une réalité commune. Certes, il y a aujourd’hui plus de possibilités pour accéder au matériel, apprendre de manière autodidacte, l’accès à l’industrie même reste tout de même limité.

Le rapport à la machine, aux outils a également été relevé par Noria : il reste dominé par les hommes, aussi bien du fait de leur accès à ces outils que parce qu’ils osent plus expérimenter. C’est un constat d’autant plus fort lorsqu’il s’agit des musiques dites « extrêmes ».

Un angle plus intersectionnel a orienté la discussion vers la situation des artistes femmes racisées. Manar a évoqué l’aspect forcé des programmations où les artistes femmes, racisées, sont invitées plus pour la culture/statut qu’elles représentent que pour l’œuvre singulière qu’elle porte, qui est au centre de leur identité artistique.

Ce qui se cristallise ici c’est, d’un côté, un risque de glisser vers la « tokenisation » en termes de genre et de diversité et, de l’autre, un rapport fantasmé aux productions et créations des femmes racisées ou des personnes issues de minorités, du « Sud » plus en général. Le premier point, celui de la tokenisation, fait référence à un contexte où de plus en plus de programmateurs du « Nord » intègre des artistes dits arabes, pour être « clean » et s’aligner sur des tendances à la diversité. Le problème ici, qui est lié au deuxième point, et celui de la visibilité sans fond, ou l’aspect culturel de l’œuvre, du style ou de la proposition musicale ou artistique est séparé de l’expérience.

En ressort une « vision très coloniale de ce que peut représenter l’artiste maghrébin ou africain », en prenant le plus beau, sans faire attention aux personnes, problématiques et histories complexes qui sont derrière.

En ressort une « vision très coloniale de ce que peut représenter l’artiste maghrébin ou africain »..

Cette exotisation/essentialisation des artistes maghrébin.e.s ou africain.e.s se matérialisent dans des attentes décalées où iels sont obligé.e.s d’offrir des manifestations une culture figée, qui reflètent moins les réalités complexes de ces cultures que la version imaginaire, coloniale que s’en font les programmateurs. L’intention est ici centrale.

Rapport au patrimoine/héritage.

Le rapport des artistes marocaines à leur patrimoine est complexe en ce que, d’un côté, il fait partie de l’histoire collective avec la responsabilité de transmission que cela implique mais que, de l’autre, l’identité de l’artiste reste très personnelle. Malika a rappelé dans ce sens que si la richesse musiques traditionnelles est certainement une source d’inspiration, l’enjeu de la création reste celui de l’émancipation, et donc la possibilité de choisir de puiser, ou non, dans cette source : « On peut se sentir marocain.e sans forcément s’identifier à certains styles ».

« On peut se sentir marocain.e sans forcément s’identifier à certains styles »

Cette dimension rappelle également le mouvement perpétuel du patrimoine ou de la culture qui casse avec la tentation de les quadriller. La bibliothèque sonore se construit constamment selon Noria, d’autant plus que l’accès à la musique est plus ouvert et donc les possibilités d’apprendre et d’expérimenter des styles, techniques, sont plus fluides. Ce mouvement se nourrit aussi de l’enchevêtrement entre individuel et collectif. Léa a rappelé que l’identité individuelle et l’appartenance de groupe ne sont pas incompatibles et qu’il y a différentes possibilités pour revendiquer cette identité complexe.

Le rapport au patrimoine musical et culturel pose également la question de l’appropriation culturelle. Les intervenantes se sont accordées sur l’importance de l’échange et l’inspiration sont importants, conditionnés par la bienveillance et de respect. L’appropriation culturelle est en effet problématique lorsque la matière exploitée est commercialisée ailleurs que sur son territoire original, sans qu’il y ait possibilité pour les communautés locales de ce dernier de pouvoir faire rayonner leur propre patrimoine ! Ici aussi, l’importance de l’intention est beaucoup revenue dans la conversation.

Visions du futur.

Quelles visions du futur pour l’industrie musicale dans la région et plus globalement dans le continent ?

Le premier appel qui a été lancé par Noria est celui des connexions au niveau local, régional et continental. Cette mise en lien est nécessaire avant de penser au rapport Nord/Sud. Ce dialogue permettrait de construire une musique du futur qui va au-delà de la fusion « bi-face » pour mieux se nourrir de la pluralité et de la complexité des identités, qu’elles soient maghrébines ou africaines, sans exclure les individualités, les récits et les bagages personnels.

La deuxième composante de cette vision du futur est celle de l’auto représentation. Les initiatives de revendication d’une scène locale, régionale, devraient être portées, en premier, par les personnes qui sont sur place et qui vivent les réalités sociales, économiques, culturelles et politiques des contextes représentées. Noria a insisté sur l’importance de la création de plateformes pour connecter les énergies et aller vers la création d’une scène collective, au- delà des frontières entre les univers musicaux et artistiques, indépendante des interventions extérieures. Un imaginaire commun qui s’orienterait vers la une déconstruction de la vision qu’on a de l’art et permettrait de sortir des logiques dominantes. Une nouvelle façon de voir les choses, déconstruite, décolonisée, pour re-balancer les rapports de pouvoir.

Une nouvelle façon de voir les choses, déconstruite, décolonisée, pour re-balancer les rapports de pouvoir.

Une vision du futur optimiste par la promesse de la jeune scène bouillonnante qui se manifeste surtout au travers des réseaux sociaux et plateformes digitales. Une jeunesse qui a toutefois besoins d’être accompagnée et orientée  pour expérimenter pleinement les espaces et les étapes de création, incluant l’expérience de la scène qui est un moment spécial dans le développement de l’artiste et de son projet.

En effet, le risque de tomber dans le « tout-streaming » est fort, une industrie musicale qui s’étend de l’extérieur et qui absorbe les énergies locales avec ses codes et ses promesses monétisées. C’est crucial de réfléchir et de résister à ce côté fast-foot qui arrive sur le continent et qui impose une certaine logique du business musical, aller vers la création d’une industrie musicale propre à nos territoires/espaces. Il y a également un pont à construire en termes de professionnalisation des artistes émergent.e.s : encore une fois, des plateformes sont à créer et renforcer, notamment pour leur donner les clés et leur permettre d’être maitre.sse.s de leurs projets.

Extraits de la rencontre #1 :

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