Sarra, Souma et Yara ont eu une conversation pleine de rebondissements sur différents sujets. Comme lors de notre précédente rencontre, les discussions ont vogué sur différentes vagues musicales en naviguant sur des questions liées au genre, à l’intersectionnalité, à l’accès, à l’avenir de la musique…
Nos trois invitées ont puisé dans leurs expériences sur scène et au-delà pour complexifier les réalités mentionnées.
Représentant la diaspora nord-ouest africaine au Royaume-Uni, Sarra est un mélange d’Algéro-Maroco-Sénégalais et accorde une grande importance aux connexions qui pourraient être établies entre la diaspora et la “terre-mère”, pour que leurs voix soient entendues.
Yara est basée au Caire, ses explorations sonores lui permettent de mieux comprendre son propre voyage à travers ses identités. Elle s’intéresse également aux musicalités africaines.
Souma est productrice de musique et fondatrice du label Volubilia Records, elle est très active lorsqu’il s’agit de promouvoir les talents féminins dans les espaces des musiques électroniques au Maroc. Elle utilise différents instruments, notamment indigènes, qu’elle inclut dans ses productions musicales.
Le premier portail de la discussion a été ouvert sur le rôle et les espaces occupés (ou non) par les femmes et les minorités de genre. Nos trois protagonistes se sont accordées sur le fait que de nombreux aspects ont évolué mais qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Sarra a mentionné l’exemple d’une Dj déterminée, d’origine marocaine et basée à New York ; pour elle, Bergsonist illustre la vague de changement susmentionnée. Yara avait un point de vue et des émotions plutôt frustrés à partager car elle a suivi le déclin du nombre de femmes présentes sur la scène musicale en Egypte.
Elle s’est souvenue avec nostalgie de ses années universitaires; la présence féminine était forte et ce au travers de différentes dimensions de la musique et de l’art. Elle a également souligné l’importance de facteurs tels que l’argent, la promiscuité avec le gouvernement, le soutien familial… pour accéder à l’industrie, ces facteurs jouent un rôle plus central que la qualité et les efforts fournis pour la recherche de sonorité et d’histoires musicales à offrir.
..l’importance de facteurs tels que l’argent, la promiscuité avec le gouvernement, le soutien familial..
Pour Souma, le manque de producteurs et l’accès limité aux infrastructures et équipements nécessaires pour jouer et créer caractérisent la région. Elle a ajouté une perspective intéressante sur la domination des producteurs et des concepteurs sonores du “Nord” qui rend difficile la recherche de samples et de sons adaptés.
La conversation s’est ensuite orientée vers le patrimoine culturel et musical de la région.
Les commentaires se sont alignés sur l’hégémonie de la “musique occidentale” qui homogénéise les goûts et les offres musicales même en Afrique du Nord. Le comble, comme l’a bien souligné Sarra, est que même les styles dominants comme la house et la techno qui ont pris des formes plutôt linéaires et sont associés à l’Occident, ont été produits par l’appropriation culturelle. Elle a raconté l’anecdote d’un concert au Maroc où elle a terminé son set avec un morceau de la légendaire Cheikha Rimitti (qu’elle repose en paix).
Les gens étaient plutôt choqués… Cela sortait du “cadre” !
La seule façon d’inverser les tendances ou d’ouvrir des horizons est de continuer à jouer des sons qui proviennent de “la source”; plus il y aura de consommateurs et de producteurs qui s’y exposent, plus ces sons seront intégrés dans le cadre (ou mieux, feront exploser ses lignes). Yara a rappelé dans ce sens la responsabilité des artistes de la région MENA ou plus largement de l’Afrique de préserver et de promouvoir leur héritage, en s’orientant vers la nécessité de savoir d’où l’on vient et aussi de mieux connaître ses voisins, avant d’aller piocher dans d’autres territoires, surtout quand ces derniers dominent déjà l’espace. Les trois participants se sont accordés sur le potentiel et la beauté du mélange des genres, au-delà des frontières et sous toutes leurs formes. Même s’il est difficile de trouver des lieux et des personnes qui les apprécient, comme l’a exprimé Yara: “il n’y a pas de place pour moi, chez moi”.
La question qui se pose donc est peut-être la suivante : y a-t-il de la place ailleurs, en Europe par exemple ?
Il est vrai que le vieux continent est considéré comme un rêve par beaucoup, comme l’explique Yara, les solutions à des souffrances à plusieurs niveaux… Mais il est en réalité très difficile de vivre en tant que diaspora. Sarra a souligné que le monde reste partout très patriarcal et que, dans les pays du Nord, les processus de racialisation s’y ajoutent.
Discuter de l’héritage et des liens avec l’Occident ou le “Nord” amène naturellement le sujet de l’appropriation culturelle. Pour Souma, l’enjeu réside dans l’importance du crédit et de la reconnaissance. Sarra a poussé la discussion plus loin : il est crucial de s’assurer que les communautés dont les sons sont extraits soient bien représentées, qu’elles soient effectivement invitées et qu’elles aient accès aux espaces où les créations sont présentées.
Habituellement, seuls les composants les plus faciles à extraire et à utiliser sont pris, ce qui produit une représentation simpliste des sons et cultures nord-africains, souvent confondus avec ceux du Moyen-Orient, dans un élan orientaliste, rappelant nos discussions sur l’exotisation lors du premier podcast. Ce sont les mêmes dominateurs historiques qui décident qui est le ou la vrai.e Nord-Africain.e, celui ou celle qui représente le mieux sa région…
Ce point a bien résonné dans l’expérience de Yara qui a partagé une anecdote qu’elle a vécue à Berlin. Elle est tombée sur une affiche faisant la promotion d’un artiste qui s’est vu attribuer le statut d’unique DJ en Egypte… Alors qu’il y en a beaucoup ! !!
Il y a encore beaucoup à faire pour un avenir plus radieux, plus coloré. Un avenir féminin ? C’est ce que souhaite Souma. Quant à Yara et Sarra, elles espèrent un tournant intersectionnel et que “tout le monde en bas puisse monter”. Les mots de la fin de Yara étaient une clôture poétique nécessaire : “Nous devons rafraîchir l’eau, aller à l’océan et prendre de l’eau fraîche. Nous vivons dans un bruit blanc, croisons les doigts, nous trouverons une nouvelle mélodie.”